On connaît bien le fossé des générations, mais n’y en a-t-il pas un autre tout aussi universel qu’ancestral: dans le coin droit, la campagne, dans le coin gauche, la ville. Leur rivalité précède l’ère industrielle, l’époque même d’un de la Fontaine, et remonte probablement aux cités des civilisations perdues. Quelques phénomènes l’un persistant, d’autres d’actualité et en développement, offrent l’occasion de nous demander ce que sera grandir en ville ou à la campagne, pour les enfants au cours du présent siècle.
La tendance mondiale est à l’urbanisation, on dirait depuis toujours, et s’est accélérée avec la production de masse et la croissance démographique gallopante. Comme le soulignait la Banque Mondiale en 2020, « d’ici 2050, le nombre actuel de citadins devrait doubler, et pratiquement 7 personnes sur 10 dans le monde vivront en milieu urbain. » La relation entre la population urbaine, depuis peu majoritaire pour la première fois dans l’histoire, et les résidents de milieux moins denses, devrait se transformer de manière importante. Bien malin le démographe qui prédira comment. Peut-être serait-il sage d’ajouter les banlieusards à l’équation. Eux, qui ont amené la culture de l’automobile à son apogée, et levé le nez sur les centre-villes, les jugeant inhabitables, tout en les trouvant fréquentables pour leur travail ou leur divertissement.
Deux phénomènes en cours signalent peut-être qu’il est temps de porter un regard neuf sur la tendance démographique lourde déjà mentionnée. D’abord, il y a la peur de la COVID-19 qui a amené tous les travailleurs qui le pouvaient, à travailler de chez-soi. Il reste à voir quel pourcentage continuera à le faire, mais plusieurs ont déjà opté pour maintenir ce mode de vie, et se sont même relocalisés à l’extérieur des grands centres urbains, dans des milieux moins densément peuplés. Notons du même souffle, que les villes ont été peu accessibles aux visiteurs de l’extérieur durant la pandémie. Cette situation a exacerbé un autre phénomène, depuis longtemps dénoncé par les résidents ruraux, loin des grands centres: une connection Internet pitoyable, une bande passante sous-perfomante. Les populations rurales ont longtemps décrié l’inéquité qu’elles subissent dans le service Internet. Les ex-citadins eux, n’accepteront pas de perdre un acquis, peu importe leur éloignement de la ville, de leur lieu de travail. Pas plus tard qu’en avril, l’Autorité canadienne pour les enregistrements Internet (ACEI) indiquait que « depuis le début de la pandémie, les vitesses en milieu rural atteignent entre un cinquième et un dixième de ce qu’elles sont en milieu urbain (…) les vitesses de téléchargement en milieu rural oscillaient entre 5,5 Mb/s comparativement à près de 50 Mb/s dans le Canada urbain. » Notons que les Canadiens paient davantage pour leur service de télécommunication que les consommateurs de pays similaires.
Parions qu’une nouvelle dynamique ville-banlieue-campagne, avec un renouveau culturel, est déjà entamée. Il semble qu’alors que les villes s’adapteront à l’après-pandémie, les résidents partout ailleurs en feront autant. Ce brasse-camarade démographique pourrait s’avérer révélateur sur le plan de l’harmonie ou des tensions intergénérationnelles. Bientôt, l’escapade du weekend à la campagne du citadin, et le safari-photo en ville du campagnard, pourraient prendre une tout autre allure. Ces deux mondes n’en feront enfin peut-être qu’un.