Les spécialistes de ce qu’on appelle l’intelligence artificielle ne font que commencer à nous surprendre, en démontrant comment ce nouvel outil peut changer notre façon de regarder et de penser le dessin enfantin.
Les chercheurs en informatique développent des systèmes sophistiqués pour explorer des méthodes efficaces de classification et d’analyse des dessins, de leurs composantes, et des processus qui les rendent possibles. Dit le plus simplement, les ingénieurs utilisent des systèmes numériques de reconnaissance visuelle, liés à des modèles mathématiques pour créer des systèmes d’apprentissage automatique. Inspirés par des observations et des études faites par des humains, ils comparent parfois les résultats produits par des humains, avec les types et quantités d’éléments et de catégories que ces systèmes numériques analysent, ce en terme d’efficacité et de précision.
Voulant toujours aller plus loin dans l’efficacité informatique des systèmes, les chercheurs préfèrent souvent fournir des appareils numériques avec écrans tactiles aux participants, pour la collecte de données, laissant ainsi de côté crayons et papier. Cela peut paraître étrange pas seulement parce que dessiner sur du papier ou sur un écran sont deux expériences assez différentes pour qui a connu les deux, mais aussi parce que la proportion d’enfants qui ont accès à ces écrans tactiles reste et restera très marginale. Cela soulève inévitablement la question à savoir les dessins de qui au juste, les chercheurs se préoccupent-ils vraiment?
Prenons par exemple cette étude publiée dans Alexandria Engineering Journal (Vol. 60, no. 1) en 2021 : Classification of children’s drawings strategies on touch-screen of seriation objects using a novel deep learning hybrid model. L’article de Dzulfikri Pysal, Said Jadid Abdulkadir, Siti Rohkmah Mohd Shukri, et Hitham Alhussian est accessible sur Science Direct. Ils concluent que l’analyse quantitative des dessins enfantins par leur système informatique est à la fois plus rapide et plus précise qu’une analyse qualitative faite par des humains.
Soit, mais rappelons ici que les images sont créées en format numérique. Ne pourrions-nous pas dire que cela confère un avantage à la machine, en termes de type de données saisies et utilisées?
Pour des raisons purement méthodologiques, les chercheurs qui développent ces systèmes pour analyser des dessins d’enfants favoriseront les écrans tactiles pour la cueillette de données. On trouve un autre exemple de ce choix, dans une étude par Seth Polsley, et quatre collègues intitulée Detecting children’s fine motor skills development using machine learning, et publiée en 2022 dans International Journal of Artificial Intelligence in Education (No. 32). Ici encore, les images ont été créées sur des appareils électroniques seulement.
Il y a pourtant aussi des chercheurs en IA qui exigent que les ordinateurs « regardent » et analysent des dessins d’enfants réalisés sur papier. Ochilbek Rakhmanov, Nwojo Nnanna Agwu, et Steve Adeshina, de la Nile University of Nigeria, l’ont justement fait dans leur étude intitulée Experimentation on hand drawn sketches by children to classify draw-a-person test Images in psychology. Leurs résultats ont été présentés en 2020 dans le cadre de la 33e International Florida Artificial Intelligence Research Society Conference (FLAIRS 2020). Il serait injuste de tenter d’en résumer les conclusions en quelques lignes seulement. Chose certaine, ils méritent notre admiration pour avoir présenté la seule étude s’intéressant au dessin enfantin, parmi plus d’une centaine d’autres communications à cette conférence. Ce qui importe ici est de savoir que les dessins créés sur papier peuvent assister la recherche en IA.
Un des principaux défis auxquels sont confrontés les chercheurs demeure la qualité et l’étendue de la base de données à leur disposition. Le modèle participatif en ligne entre ici en jeu, et les chercheurs y ont souvent recours quand il s’agit d’amasser un volume important de données. Une de ces initiative les plus connue et accessible est QuickDraw créé par Jonas Jongejan, Henry Rowley, Takashi Kawashima, Jongmin Kim, et Nick Fox-Gieg, en collaboration avec Google Creative Lab. Ce jeu propose à quiconque d’aider l’apprentissage automatique par informatique simplement en dessinant à l’écran. Selon Google, 15 M de personnes ont déjà contribué 50 M d’images. Le géant du web ouvre librement cet espace virtuel en toute transparence pour le recherche.
Les avancées en IA semblent déjà dépasser notre habileté à les suivre. Il reste que nous nous devons d’essayer d’en saisir de notre mieux la portée et les impacts. Cette semaine même se déroule à Delft University of Technology (Pays-Bas), la 11e Conference on Human Computation and Crowdsourcing (HCOMP 2023), présentée par l’ Association for the Advancement of Artificial Intelligence (AAAI).