De Godzilla à Barney, en passant par la série de films Parc Jurassique, il est à peu près certain que la plupart des enfants ont dessiné un dinosaure à un moment donné.
Les ossements de vrais dinosaures sont préservés et exposés partout dans le monde. Ils nous aident à comprendre et à apprécier leur suprématie animale, depuis longtemps disparue.
Saviez-vous que des spécialistes prennent aussi soin de leurs excréments? Tout à fait, la merde de dinosaure a son musée! Bon, à vrai dire les excréments se sont fossilisés et transformés en coprolithes.
Le Poozeum a été créé comme une ressource en ligne en 2014, par son instigateur George Frandsen. Dix ans plus tard, il vient d’ouvrir pignon sur rue à William, Arizona, pas loin du Grand Canyon. Le musée et sa boutique présentent environ 8 000 coprolithes. Il détient pour cela un record Guinness, ainsi que pour le plus gros coprolithe jamais découvert (67,5 x 15,7 cm), qui proviendrait d’un T.rex, selon George Frandsen.
La prochaine fois que vous dessinez un dinosaure, n’oubliez pas son coprolithe. Qui sait, pleut-être un jour découvrirons-nous que la planète entière est un coprolithe, ou un dérivé, qui pivote sur son orbite.
Développer une collection comme celle de CIDE apporte souvent son lot de questionnement et d’embuches. Les dessins d’enfants ont presque tous disparus pendant des siècles, voire des millénaires. Il y a bien deux raisons pour cela. L’une est le peu de valeur qu’on leur accorde, et par extension aux enfants, parce que l’enfance est éphémère. Soit on a hâte qu’ils grandissent, ou bien ils grandissent trop vite. L’autre raison est que même si on accorde une grande importance aux dessins et apprentissages des enfants, c’est une appréciation vécue en privé au sein de la famille, et non avec la communauté. Les images sont pour l’album de famille sans plus.
Par nos efforts pour élargir la conversation, visant une meilleure conservation, nous nous demandons ce qui peut bien amener des individus, et des parents à garder près d’eux ces fragiles objets. Nous nous demandons aussi, quel peut être le meilleur moment pour en contribuer à la collection?
C’est difficile à déterminer. Le meilleur moment est peut-être lorsqu’un parent et son enfant conviennent de laisser l’image quitter foyer, dans le cas d’un jeune enfant. Si l’enfant est devenu adulte, toujours en possession de ses dessins que son parent a probablement conservé, cette personne pourrait ne plus s’intéresser aux images, ou vouloir simplement rendre hommage au parent qui y en a pris soin.
Quand une famille préserve l’expression artistique des enfants pour une longue période, cela augure bien pour son avenir. Du moins il semble, car cela reflète le lien solide entre le parent et l’enfant, le désir d’en garder la trace. Cependant, le contraire pourrait se produire, et plus longtemps la famille préserve un dessin d’enfant, plus celui-ci risquerait de disparaître. C’est que comme toute relation interpersonnelle, l’intensité du lien familial peut fluctuer dans le temps.
Il arrive parfois que les enfants devenus adultes s’éloignent de leurs parents, leur fratrie, ou vice-versa. On parle ici d’éloignement physique, mais surtout relationnel ou affectif. Lorsque cela se produit, les objets qu’ils ont partagés dans le passé acquièrent de nouvelles significations. C’est le cas pour les dessins des enfants, qui peuvent perdre leur charge émotive et devenir négligeables. L’éloignement familial, lorsqu’il se produit, peut mettre à risque les images qui jusque-là avaient été protégées.
La décision de préserver ou nom l’art des enfants est et restera entre les mains d’individus et de parents. Notre approche participative du développement de collection ajoute une composante collective ou communautaire à l’équation. Nous envisageons que cela pourra stimuler le dialogue entre les générations et l’éveil culturel.
L’éloignement familial se trouve sous la loupe de quelques chercheurs depuis une bonne décennie. Ils nous disent tous que divers facteurs peuvent amener les membres d’une famille à couper les liens. L’arrêt des échanges varie grandement dans le temps, de quelques mois, à plusieurs années, et même la vie entière. La famille peut se distancier graduellement, sans même que ses membres sachent précisément pourquoi.
Une pionnière sur le sujet est Dr. Kylie Agllias, maître de conférences adjointe à l’Université de Newcastle, en Australie. Son livre, Family estrangement: A matter of perspective (Routledge, 2016), est un incontournable, largement cité. Le gérontologue Dr. Karl Pillemer de l’Université Cornell a lui écrit le livre Fault lines: Fractured families and how to mend them (Penguin, 2022). Il y aborde amplement la résilience et la réconciliation. En 2015, l’organisme britannique Stand Alone a mené une étude révélatrice. Plus de huit cents personnes ont participé. Les résultats ont été rapportés dans un rapport rédigé par la psychologue Dr. Lucy Blake, du Centre for Family Research, à l’Université de Cambridge : Hidden voices: Family estrangement in adulthood, et disponible en ligne. Il nous renseigne sur des aspects encore peu abordés de la vie moderne.
Le sujet est vaste et d’une grande complexité, aussi vieux que le pouvoir narratif lui-même, dans les civilisations actuelles et anciennes. On n’a qu’à jeter un coup d’œil aux avatars des gamers, ou aux mascottes de nos équipes sportives, pour constater à quel point cette capacité que nous avons d’assigner des qualités ou traits humains à des animaux, des plantes ou des objets s’imprègne partout. On retrouve l’anthropomorphisme dans à peu près toutes les formes artistiques.
Un court article sur un blog ne peut s’étendre sur les multiples ramifications du phénomène. L’intention ici est de mettre en évidence le fait que de plus en plus de chercheurs de domaines variés remettent en question la façon dont les transmetteurs d’histoires utilisent l’anthropomorphisme. Parents, écrivains, illustrateurs, dramaturges, et même porteurs de discours religieux, soyez donc à l’écoute, car des critiques littéraires, des écologistes, des chercheurs en cognition ou en sociologie sont d’avis qu’il y a un côté obscure à l’anthropomorphisme, que le côté amusant risque de nous cacher.
Mais, commençons par ce bon côté qui nous fait souvent sourire, et surtout communiquer.
Les travaux de la psychologue Gabrielle Airenti, professeure à l’Université de Turin, ont été amplement cités. Dans un de ces nombreux articles, Aux origines de l’anthropomorphisme(Gradhiva, No.15, 2012), elle nous informe que « l’enfant ne confond pas la vie réelle et la situation imaginaire, et il peut passer de l’une à l’autre sans difficulté. Comme le remarquait Karl Bühler, un enfant peut jeter au feu un bout de bois qu’il traitait jusque-là comme un bébé. Dans le jeu de fiction, il expérimente des relations, explore des sentiments, des émotions, des états mentaux. L’enfant qui fait semblant de prendre le bout de bois pour un bébé parle avec lui comme il s’imagine qu’une mère le ferait. Dans ce cas précis, traiter un objet comme s’il s’agissait d’une personne est un exercice qui permet à l’enfant d’affiner ses capacités de compréhension de soi-même et des autres. »
Avec le temps, on devient tous d’agiles « anthropomorphistes » à l’âge adulte. Comédiens, parents et enseignants savent à quel point les personnages anthropomorphes peuvent efficacement capter l’attention des enfants, et les enthousiasmer. Prenons par exemple une activité créée par Creative Exchange, une collaboration entre l’England Arts Council et l’Université de Durham (Royaume Uni) : How to use anthropomorphism to release children’s creativity. On y met l’anthropomorphisme à contribution, pour stimuler non seulement l’imaginaire, mais aussi l’esprit de collaboration. Comme on peut le deviner, la grande majorité des ressources d’une bibliothèque scolaire inclus des images anthropomorphes.
Pourtant, malgré son aspect socialisant et émotionnellement utile, le phénomène ne fait plus l’unanimité. Ils sont plusieurs à vouloir mettre en garde contre ce qui selon eux peut tantôt nuire à l’apprentissage, voire même perpétuer des attitudes antisociales.
On a trouvé de tels avertissements dans le catalogue de l’exposition fort captivante : Animals Are Us: Anthropomorphism in Children’s Literature; Celebrating the Peter Solomon Collection. L’exposition a été présentée en 2021 à la Houghton Library (Cambridge). Le catalogue édité entre autres par Thomas Hyry, offre un beau moment de lecteur, et comprend de formidables illustrations. Quatre des collaborateurs sont derrière le chapitre qui nous est à propos : The Pitfalls and Potential of Anthropomorphism in children Literature. Ils y avancent que la pratique perpétue le plus souvent des stéréotypes, en plus de souffrir un manque de diversité dans les sujets et les groupes représentés. Il semblerait donc que nous ne pouvons nous empêcher de projeter autant nos biais inconscients que nos intentions narratives, si nobles qu’elles puissent être. Les auteurs sonnent l’alarme et jugent qu’une conscientisation accrue est nécessaire pour améliorer la transmission des histoires sous quelque forme que ce soit. L’article se termine tout de même sur un ton optimiste. Les auteurs sont confiants qu’à mesure que les experts de l’enfance, en psychologie, et en littérature améliorent leur compréhension du jeune lecteur, la littérature jeunesse, les histoires avec leurs personnages qu’on leur propose seront mieux adaptées, et feront preuve d’une plus grande sensibilité éthique.
Une autre spécialiste, en éducation cette fois, s’est intéressée à l’impact que peuvent avoir les images anthropomorphe, sur l’habileté des enfants à discerner les éléments fictifs, des faits biologiques. Anne-Marie Dionne est professeure agrégée à l’université d’Ottawa. Elle a publié en 2020 son article L’anthropomorphisme des animaux dans les albums de littérature jeunesse (Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, Vol. 22, No. 2, Université de Sherbrooke). Elle nous informe en détails qu’il y a bien des niveaux d’anthropomorphisme, c’est–à-dire des représentations avec un rapport plus ou moins marqué à la réalité. Tout en ne perdant pas de vue l’avantage socio-émotionnel d’une narration usant de personnages anthropomorphes, elle aussi sonne l’alarme, mais cette fois pour parer à un possible effet neutralisant à l’apprentissage scientifique que pourrait apporter de tels personnages. « Les jeux de rôles parfois sensibles, tenus par des animaux et non pas par des humains, procurent aux enfants la distance intellectuelle et émotionnelle qui leur est nécessaire pour être réflexifs et critiques en regard de diverses problématiques, ce qui soutient leur développement socio-émotionnel. Mais, il n’en demeure pas moins que ces albums peuvent en même temps avoir de l’influence sur leur raisonnement biologique en induisant de fausses croyances scientifiques. » Elle ajoute plus loin que les albums « exempts d’éléments anthropomorphiques pourrait constituer un avantage en ce qui concerne la présentation de propriétés biologiques des animaux. » D’autres chercheurs ont par ailleurs souligné que les mammifères sont largement surreprésentés dans les personnages fictifs disponibles, et que l’environnement dans lequel on campe ces personnages va influencer la perception du niveau de réalisme dans la narration.
N’allez pas croire que les éducateurs, les psychologues et les critiques littéraires sont les seuls à s’intéresser au sujet. Des spécialistes en informatiques, et même en études religieuses sont aussi curieux d’apprendre comment les enfants réagissent face à l’anthropomorphisme et en font usage. Un livre absolument fascinant publié chez Springer présente plusieurs textes d’auteurs s’intéressant à la façon dont les enfants dessinent Dieu : When Children Draw GodsA Multicultural and Interdisciplinary Approach to Children’s Representations of Supernatural Agents. Images anthropomorphiques vous dites? Oui et non. Un chapitre par Gregory Dessart et Pierre-Yves Brandt présente une étude de cas réalisée en Suisse. Elle est d’autant plus originale que les auteurs s’intéressent à un ce qu’ils nomment un processus de dé-anthropomorphisation. Selon eux, les enfants avec un parcours d’éducation religieuse pourraient être moins portés à représenter Dieu sous des traits humains.
Songeant aux quelques textes cités plus haut, je trouve intéressant que des spécialistes soucieux d’enseignement biologique, ainsi que d’autres soucieux d’enseignement religieux souhaiteraient que les enfants soient moins influencés par l’anthropomorphisme, mais chacun pour des raisons différentes, les uns pour l’accès à la connaissance biologique, les autres pour des représentations du divin moins disons humanoïdes. Le pouvoir socio-émotionnel de l’anthropomorphisme est-il trop grand ou fallacieux? C’est une bonne question.
Nous avons tous vu des images à la craie sur les trottoirs durant le récent confinement. Une jeune artiste et son frère cadet, sa muse, ont porté cette activité à un niveau inégalé. Ce que Macaire, quatorze ans, a produit est tout à fait impressionnant, rempli de magie et d’amour. Espérons qu’un promoteur est là pour lui remettre un prix, une bourse, une mention. Déjà, on parle d’eux dans de nombreuses publications. Selon nous, ils font déjà parties (heureusement) de l’histoire de cette pandémie. Ces images éphémères et monumentales ne peuvent évidemment être préservées dans leur forme originale. Une chance pour nous, les médias sociaux sont là. Visitez @macairesmuse sur Instagram. Dites-nous ce que vous en pensez.