Développer une collection comme celle de CIDE apporte souvent son lot de questionnement et d’embuches. Les dessins d’enfants ont presque tous disparus pendant des siècles, voire des millénaires. Il y a bien deux raisons pour cela. L’une est le peu de valeur qu’on leur accorde, et par extension aux enfants, parce que l’enfance est éphémère. Soit on a hâte qu’ils grandissent, ou bien ils grandissent trop vite. L’autre raison est que même si on accorde une grande importance aux dessins et apprentissages des enfants, c’est une appréciation vécue en privé au sein de la famille, et non avec la communauté. Les images sont pour l’album de famille sans plus.
Par nos efforts pour élargir la conversation, visant une meilleure conservation, nous nous demandons ce qui peut bien amener des individus, et des parents à garder près d’eux ces fragiles objets. Nous nous demandons aussi, quel peut être le meilleur moment pour en contribuer à la collection?
C’est difficile à déterminer. Le meilleur moment est peut-être lorsqu’un parent et son enfant conviennent de laisser l’image quitter foyer, dans le cas d’un jeune enfant. Si l’enfant est devenu adulte, toujours en possession de ses dessins que son parent a probablement conservé, cette personne pourrait ne plus s’intéresser aux images, ou vouloir simplement rendre hommage au parent qui y en a pris soin.
Quand une famille préserve l’expression artistique des enfants pour une longue période, cela augure bien pour son avenir. Du moins il semble, car cela reflète le lien solide entre le parent et l’enfant, le désir d’en garder la trace. Cependant, le contraire pourrait se produire, et plus longtemps la famille préserve un dessin d’enfant, plus celui-ci risquerait de disparaître. C’est que comme toute relation interpersonnelle, l’intensité du lien familial peut fluctuer dans le temps.
Il arrive parfois que les enfants devenus adultes s’éloignent de leurs parents, leur fratrie, ou vice-versa. On parle ici d’éloignement physique, mais surtout relationnel ou affectif. Lorsque cela se produit, les objets qu’ils ont partagés dans le passé acquièrent de nouvelles significations. C’est le cas pour les dessins des enfants, qui peuvent perdre leur charge émotive et devenir négligeables. L’éloignement familial, lorsqu’il se produit, peut mettre à risque les images qui jusque-là avaient été protégées.
La décision de préserver ou nom l’art des enfants est et restera entre les mains d’individus et de parents. Notre approche participative du développement de collection ajoute une composante collective ou communautaire à l’équation. Nous envisageons que cela pourra stimuler le dialogue entre les générations et l’éveil culturel.
L’éloignement familial se trouve sous la loupe de quelques chercheurs depuis une bonne décennie. Ils nous disent tous que divers facteurs peuvent amener les membres d’une famille à couper les liens. L’arrêt des échanges varie grandement dans le temps, de quelques mois, à plusieurs années, et même la vie entière. La famille peut se distancier graduellement, sans même que ses membres sachent précisément pourquoi.
Une pionnière sur le sujet est Dr. Kylie Agllias, maître de conférences adjointe à l’Université de Newcastle, en Australie. Son livre, Family estrangement: A matter of perspective (Routledge, 2016), est un incontournable, largement cité. Le gérontologue Dr. Karl Pillemer de l’Université Cornell a lui écrit le livre Fault lines: Fractured families and how to mend them (Penguin, 2022). Il y aborde amplement la résilience et la réconciliation. En 2015, l’organisme britannique Stand Alone a mené une étude révélatrice. Plus de huit cents personnes ont participé. Les résultats ont été rapportés dans un rapport rédigé par la psychologue Dr. Lucy Blake, du Centre for Family Research, à l’Université de Cambridge : Hidden voices: Family estrangement in adulthood, et disponible en ligne. Il nous renseigne sur des aspects encore peu abordés de la vie moderne.